Avis de la cnDAspe accompagnant la publication du rapport du groupe d’experts indépendants « Indépendance de la recherche et de l’expertise publiques dans les contextes de relations public-privé intéressant les domaines de la santé et de l’environnement »

Publié le 31 juillet 2024

Avis de la cnDAspe accompagnant la publication du rapport du groupe d’experts indépendants « Indépendance de la recherche et de l’expertise publiques dans les contextes de relations public-privé intéressant les domaines de la santé et de l’environnement »

Soumis pour validation par voie numérique le 24/5/2024

Le rapport du groupe d’experts indépendants – ci-dessous dénommé formation spécifique (FS) - mis en place en octobre 2021 à l’invitation de la cnDAspe (Commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement) a été rendu public ce jour.
En 2021, la cnDAspe a souhaité mettre en place une formation spécifique pour l’éclairer sur la question de l’indépendance de la recherche et de l’expertise publiques dans le contexte actuel de multiplication des relations entre ces activités et le monde économique.
L’objet de cette saisine a été exposé dans une note de cadrage publiée le 20 octobre 2021 où le constat est fait « (…)qu’il est devenu nécessaire d’analyser les conséquences des interactions public/privé, de plus en plus nombreuses et variées, sur la production des savoirs par la recherche publique et, par extension, sur l’activité d’expertise. Sont en effet en jeu la fiabilité et la robustesse de ces activités, et leur aptitude à produire de la connaissance dénuée de biais et à éclairer correctement les décisions publiques.
C’est l’objet de ce groupe de travail que d’analyser si, dans le contexte d’une multiplication des relations public/privé, les règles et pratiques actuellement applicables à la recherche et à l’expertise publiques sont à la hauteur de ces enjeux. »
Cette mission s’inscrit dans la lignée des travaux déjà initiés par la Commission sur les règles et bonnes pratiques déontologiques adoptées en matière de procédures d’expertise scientifique et technique, en 2018 et 2021. Ces études ont montré une réelle prise de conscience des établissements publics d’expertise scientifique et technique(1) pour mettre en œuvre une politique de prévention des conflits d’intérêts dans le cadre des expertises qu’ils réalisent, mais aussi que des progrès pourraient être encore réalisés en matière de sensibilisation des personnels dans certains établissements. Il y était par ailleurs proposé que les établissements de recherche, concernés par un recours systématique à des financements privés pour certains programmes de recherche, conduisent une réflexion sur des indicateurs spécifiques de mise en œuvre de leurs règles déontologiques dans ces contextes de partenariat avec le secteur privé.

Le rapport de la Formation spécifique souligne l’essor considérable des relations entre les établissements publics d’expertise et de recherche et les « acteurs marchands(2) » depuis une vingtaine d’années, dans l’Union européenne globalement et en France en particulier, et les formes multiples qu’elles peuvent prendre en vue de promouvoir « une économie de la connaissance (3) ». Aujourd’hui, ces partenariats sont devenus la norme dans les grands programmes de recherche aux plans national ou européen. Souhaitant dépasser la seule question des liens et conflits d’intérêt, la formation spécifique a mis en évidence la diversité des formes d’influence pouvant être exercées par les acteurs marchands, ce qui a conduit à proposer une typologie distinguant trois niveaux de relations entre recherche et expertise publiques d’une part, acteurs marchands d’autre part : les relations financières ; les relations institutionnelles ; les relations structurelles. Les financements et rémunérations sont étudiés, ainsi que la présence des acteurs marchands dans les institutions et les modalités par lesquelles leurs vues s’imposent au domaine de la recherche et de l’expertise.

Selon l’article 2 de la loi 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, qui l’a instituée, la cnDAspe peut produire des « recommandations sur les réformes qu’il conviendrait d’engager pour améliorer le fonctionnement de l’expertise scientifique et technique et la gestion des alertes. »

Aussi, s’appropriant certaines des conclusions et propositions d’actions contenues dans le rapport de la FS, et s’appuyant également sur d’autres travaux qu’elle a conduits sur des sujets interrogeant l’insertion de la recherche ou de l’expertise publiques dans les processus d’élaboration des décisions et des politiques publiques, la cnDAspe formule dans cet avisdes recommandations visant à renforcer l’indépendance et l’autonomie(4) critique de la recherche et de l’expertise publiques dans le contexte des relations croissantes qu’elles nouent avec des acteurs marchands dans les domaines de la santé et de l’environnement.

Compte tenu de l’ampleur des enjeux mis en lumière par ce rapport, de la diversité des établissements publics concernés, ainsi que de la variété des formes que prennent leurs relations avec les acteurs marchands dans l’exercice de leurs missions, la cnDAspe pourrait s’atteler à l’élaboration d’un programme de travail multi-annuel et multipartenaires. A ce stade, le présent avis établit une première liste de recommandations que la cnDAspe considère comme structurantes.
Sans promouvoir aucunement une attitude fermée à la fertilisation de l’économie par la recherche, qui paraît aujourd’hui si nécessaire, la Commission appelle à une attitude de prudence éclairée par l’histoire politique des sciences et des techniques, la sociologie économique et la sociologie de l’action publique. Ces disciplines révèlent les mécanismes par lesquels des drames sont restés invisibles tandis que d’autres sont médiatisés. Cette prudence organisée peut constituer une condition de l’acceptabilité sociale de ces transformations et pour que ces partenariats soient bénéfiques pour toutes les parties prenantes et pour la société dans son ensemble

A – Recommandations relatives à la recherche publique

1- Inscrire de façon systématique les différentes formes des relations nouées entre les équipes et établissements de recherche publics et les acteurs marchands dans un cadre garantissant le respect de l’autonomie, de l’indépendance et la déontologie des acteurs publics

Les priorités à cet effet sont les suivantes :

  • Les établissements publics de recherche qui œuvrent, en tout ou partie, dans les domaines de l’environnement et/ou de la santé, doivent instaurer des dispositifs grâce auxquels ils pourront évaluer les impacts environnementaux, sanitaires et sociaux de leurs programmes et projets, et singulièrement ceux portés dans des opérations pour lesquelles ils nouent des partenariats avec des entités du monde marchand.
  • Les chercheurs, les directeurs et directrices d’unité, et les personnels administratifs en charge de la valorisation de la recherche, de la rédaction des contrats et de la protection des chercheurs doivent être sensibilisés aux biais que peuvent créer les financements, aux pressions ou censures que pourraient exercer des entreprises partenaires sur leurs productions, et aux formes d’auto-censure.
  • L’évaluation par l’HCERES des laboratoires, établissements et grands instituts sur leurs pratiques éthiques, doit prendre en compte, en lui donnant une plus forte valeur différentielle, la manière dont ils se préoccupent des questions d’intégrité scientifique et plus largement de déontologie de la recherche.
  • Pour veiller à son impulsion, assurer sa cohérence d’ensemble et son inscription dans la durée, cette politique devrait être pilotée par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, avec l’appui des ministères en charge de la santé, de l’environnement et du travail.

2- Maintenir une recherche portée par des financements publics exclusifs ou largement prédominants demeure essentiel en matière de santé et d’environnement

Le rapport de la formation spécifique souligne que l’intérêt des acteurs marchands ne se porte pas sur l’ensemble des sujets ayant trait à la santé publique et aux grands équilibres de l’environnement, ceux- ci n’étant pas tous économiquement porteurs. Aussi, en l’absence de ressources publiques fléchées dans le cadre de programmes et d’appels à projets aux calendriers stables, plusieurs champs de connaissance risquent d’être sous-investis par les laboratoires et par les jeunes chercheurs. Ainsi peuvent s’éteindre progressivement des domaines « orphelins » dont beaucoup pourtant concernent la connaissance des impacts environnementaux, sanitaires et sociaux de nos modèles de production et de consommation (par exemple les risques professionnels). Même lorsque des co-financements sont possibles, la part des contributions publiques doit être forte pour contrôler le risque de pressions sur la conception, la conduite et la valorisation de tels projets.
Dans le contexte actuel de restrictions des budgets de l’action publique, ces risques de sous- financement de champs essentiels de la recherche publique peuvent être réduits en opérant un prélèvement automatique sur le budget de tout projet, programme ou autre opération partenariale entre des acteurs marchands et les établissements publics de recherche et d’enseignement supérieur (EPRES) œuvrant pour tout ou partie dans les domaines de la santé ou de l’environnement. La masse de ces prélèvements abonderait le financement de travaux indépendants sur les impacts environnementaux, sanitaires et sociaux à conduire sur des projets de recherche sélectionnés sur la base de critères de priorités à élaborer. Ces ressources et la forte lisibilité donnée à cette démarche participeront à la mobilisation d’excellents laboratoires et jeunes chercheurs, et favoriseront la création de réseaux multidisciplinaires aptes à couvrir progressivement des champs d’exploration de plus en plus variés et complexes, et de participer à des programmes internationaux, singulièrement européens.

3- Accompagner le personnel des établissements publics à la conduite des projets de recherche (co)financés par des acteurs marchands en proposant des formations dédiées à ces partenariats et en adaptant les modalités d’évaluation du personnel aux types de projets conduits

  • Afin de prévenir tous écarts déontologiques, les acteurs du monde de la recherche doivent bénéficier dès leur formation initiale, puis de manière continue en cours de carrière, d’une sensibilisation sur les conditions d’une collaboration maîtrisée avec des partenaires du monde marchand, ce qui inclut la prise en compte des risques issus des liens qui en résultent. Cette formation doit notamment aborder les stratégies de production d’ignorance et de doute, et les stratégies d’influence sur la production scientifique ; elle portera aussi sur les risques juridiques et la valeur légale des documents contractuels établis.
  • Les EPRES doivent garantir la mise en place d’un soutien juridique et psychologique aux chercheurs confrontés à des actions d’intimidation et des pressions, d’où qu’elles viennent, en veillant au respect de la confidentialité. Une attention particulière doit être portée aux doctorants et postdoctorants dont l’activité de recherche (thèse ou postdoc) est (co)financée par une entreprise.
  • La création d’espaces d’échanges entre scientifiques sur les difficultés rencontrées dans des interactions avec les acteurs marchands, avec l’appui de juristes et de collègues expérimentés en la matière doit être encouragée.

4- Veiller, dans les EPRES, au respect des règles de la déontologie de la recherche

Cette attention portée à la déontologie de la recherche doit porter en particulier sur deux aspects :

  • Les EPRES doivent instaurer, et veiller au respect, de règles fortes concernant l’implication de leurs chercheurs, ingénieurs et cadres dans des entités mises en place ou largement animées par des acteurs du monde privé, mais aussi dans des interventions régulières dans des séminaires et colloques organisés par ces acteurs, co-écriture d’articles scientifiques et techniques etc.(5) Ces activités doivent être dûment déclarées à une instance interne bien identifiée, sous peine de sanction(6).
  • Lorsqu’ils ont connaissance, dans le cadre de leur travail, d’actes ou de faits qui leur paraissent de nature à menacer la santé publique, l’environnement ou l’intérêt général, ou qui contreviennent aux principes déontologiques, tels que ceux énoncés par la Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche, les collaborateurs des établissements publics de recherche, quels que soient leurs statut, rang ou qualification, peuvent porter une alerte au sein de leur établissement de manière sécurisée selon les conditions énoncées par le décret 2022-1284(7). Ils peuvent aussi porter directement leur signalement auprès de l’une des autorités externes mentionnées dans l’annexe de ce décret, selon l’objet du signalement.
    Les établissements doivent développer une forte politique d’information de leurs collaborateurs sur ce droit d’alerte et ses enjeux, non seulement lors du recrutement de nouveaux agents, y compris stagiaires et doctorants, mais aussi de manière périodique en cours de carrière. Des outils mutualisés de formation pourraient être développés dans le cadre de la politique nationale mentionnée plus haut.

B - Recommandations relatives à l’expertise publique

Le premier matériau de travail de l’expertise scientifique et technique publique dans les champs de la santé et de l’environnement est constitué du corpus des connaissances accumulées par la littérature scientifique ouverte d’origine académique. C’est pourquoi le premier chapitre de cet Avis a porté sur la qualité de cette production scientifique, dont l’indépendance et l’autonomie des chercheurs et des établissements est une condition importante.
Que l’expertise produite dans les établissements publics d’expertise scientifique et technique (EPEST) soit le fruit du travail de leurs experts internes ou d’une combinaison d’experts internes et externes adaptée à chaque objet d’expertise, des règles communes s’appliquent car elles déterminent la qualité du travail. Ces règles communes sont, d’une part la collégialité et la multidisciplinarité, et d’autre part les principes déontologiques de l’expertise(8). Les premières permettent une instruction ouverte et contradictoire du sujet. Les seconds contribuent à cette qualité en apportant des assurances d’une instruction impartiale.
Un sujet partagé par la recherche et l’expertise publiques mais qui prend pour les EPEST un aspect crucial, est la fréquente nécessité d’accéder aux données privées issues de l’industrie ou de producteurs de services. Les règles de production de ces données d’origine privée et de leur utilisation pour l’expertise publique sont des sujets importants qui ne seront pourtant abordés dans ce second chapitre que de manière limitée (voir notamment la section 3).

1- Renforcer la transparence et l’application des règles déontologiques par les agents impliqués dans les processus d’expertise au sein des EPEST

Plusieurs des recommandations s’appliquant à la recherche qui sont exposées dans le chapitre A s’appliquent ici. C’est particulièrement le cas des recommandations présentées dans les sections A-1 et A-4. Concernant ces dernières et les recommandations de la section A-2, une distinction s’opère entre les quelques EPEST relevant du champ de la sécurité sanitaire, qui sont tenus de mettre en œuvre une politique fortement encadrée par la loi Bertrand(9) en matière de gestion des liens d’intérêts, comportant notamment des déclarations publiques d’intérêts pour certaines catégories d’agents, et la prise en compte attentive des liens d’intérêts des personnalités candidates ou envisagées comme experts externes. Les relations public-privés y sont également très encadrées. La situation est beaucoup moins formalisée dans les autres EPEST dont les pratiques sont plus hétérogènes à ces égards.
Découlent de ces constats les recommandations suivantes, s’ajoutant à celles formulées dans les sections A-1 et A-4 :

  • Créer des déclarations d’intérêt uniques sur un modèle standard applicable dans tous les EPEST ayant une activité dans les champs relevant de la santé ou de l’environnement. Lorsqu’aucune disposition sur ce point n’est prévue par la réglementation, chaque établissement doit adopter une démarche par laquelle sont identifiées les catégories d’agents soumis à une obligation de déclaration d’intérêts, le cas échéant publique(10), selon des critères qui seront décrits dans sa charte déontologique. Conservées de manière sécurisée par un bureau dédié, ces déclarations d’intérêts seront obligatoirement consultées par les chefs de service concernés lorsqu’ils envisagent de confier un dossier d’expertise à un agent ou à un groupe d’agents. L’obligation de renseigner la même fiche de déclaration d’intérêts s’applique en cas de recours à des experts extérieurs
  • Mettre en place dans les EPEST une formation des experts internes et externes en amont de la participation à des groupes de travail(11).

2- Renforcer la collégialité et la multidisciplinarité des groupes d’experts mobilisés par les EPEST

  • Porter une attention particulière à la pluralité des collectifs d’experts, mesure puissante pour neutraliser les conflits d’intérêts résiduels(12) ou restés méconnus.
  • Favoriser la pluralité du groupe qui définit les questions posées aux experts comme moyen d’augmenter leur pertinence, et former les personnes en charge de définir ces questions d’expertise à la problématique de leur instrumentalisation possible au profit exclusif d’intérêts économiques.
  • Les EPEST sont invités à inclure systématiquement dans leurs groupes d’experts des membres
    extérieurs, exerçant dans d’autres EPEST ou dans le monde académique.
  • Développer dans les EPEST des analyses sur la structuration des champs scientifiques et le positionnement des experts par rapport à leurs réseaux dominants, de manière à faire avancer les réflexions des établissements sur les conditions de pluralité des collectifs d’experts.

3- Les EPEST doivent conduire leurs travaux selon des méthodologies conformes aux procédures scientifiques internationales et selon les règles déontologiques de l’expertise publique, y compris lorsque ces travaux impliquent des acteurs du monde marchand

L’expertise publique peut, très schématiquement, être mobilisée dans deux contextes : (i) d’une part pour répondre à des demandes exprimées par des décideurs publics - pour éclairer les choix de ces autorités ; (ii) et d’autre part, pour répondre à des demandes exprimées par des acteurs marchands, que ce soit dans le cadre de la mise en œuvre de procédures réglementaires, ou dans celui d’une relation contractuelle public-privé.
Quel que soit le contexte, le respect des procédures scientifiques internationalement reconnues ainsi que des règles de la déontologie de l’expertise publique doivent primer. Certaines méthodologies de l’expertise conduite dans un cadre réglementaire arrêté par l’UE ou suivant les procédures définies dans le cadre de l’OCDE peuvent avoir été élaborées par des entités ad hoc qui ne sont pas toutes soumises aux règles majeures de la déontologie de l’expertise publique que sont la transparence, l’examen contradictoire des données et la mise à l’écart d’experts présentant sur l’objet de l’expertise un conflit d‘intérêts. De plus, ces méthodologies peuvent ne pas être toujours fondées sur les données récentes de la science(13). Il serait dès lors nécessaire de s’assurer, comme l’a indiqué la Cour de justice de l’UE, que l’expertise s’appuie sur toutes les données scientifiques(14) et que les experts ne soient pas en situation de conflits d’intérêts(15). La cnDAspe a déjà produit des Avis inspirés de ce principe sur des dossiers pour lesquels elle a été saisie(16).
Il convient de pousser les autorités nationales compétentes à agir dans les instances internationales et communautaires pour renforcer la transparence sur la composition de ces groupes de l’OCDE définissant la méthodologie de l’évaluation des risques des substances chimiques (« lignes directrices », « bonnes pratiques de laboratoire » …) et d’autres groupes ad hoc, et sur les liens d’intérêt de leurs membres.
Sauf pour ce qui concerne certains travaux d’expertise conduits dans le cadre de contrats public-privé (à considérer au cas par cas) et pour des sujets couverts par le secret Défense, la publicité des rapports d’expertise après leur conclusion et leur remise aux commanditaires, doit être la règle. Plusieurs cas récents de retenue de la publication, voire de la suspension d’un travail d’expertise avant sa conclusion, à l’initiative d’une autorité commanditaire ou de l’EPEST, ne contribuent pas à améliorer la confiance de la société dans l’impartialité de l’expertise publique et dans la prise en compte de l’intérêt général par le décideur public.
Les conditions d’accès aux données issues des acteurs marchands, et leur utilisation dans le cadre de travaux d’expertise, doivent faire l’objet de dispositions contractuelles assurant l’indépendance de l’expertise, tant pour le choix des experts, l’énoncé des résultats et pour leur publication. Cela est particulièrement important pour l’expertise inscrite dans un contexte règlementaire qui prescrit la nature des données fournies.

C- Le suivi de ces recommandations

L’article 2° de la loi 2013-316 du 16 avril 2013 dispose que la cnDAspe « établit chaque année un rapport adressé au Parlement et au Gouvernement qui évalue les suites données à ses recommandations et aux alertes dont elle a été saisie (…) ». Aussi, la cnDAspe évaluera la mise en œuvre de ces recommandations et publiera les résultats de ce suivi

En conclusion
En étroite coopération avec les établissements concernés, la Commission propose de passer en revue les règles existantes pour la conduite de projets en partenariat avec le secteur marchand, leur appropriation par les personnels et leur adéquation avec la dynamique des situations concrètes.
Compte tenu du contexte hautement concurrentiel dans lequel s’opèrent recherche et expertise, la Commission examinera la manière dont quelques pays en Europe garantissent indépendance et autonomie de leurs chercheurs et experts dans les domaines de la santé publique et de l’environnement.
L’objectif de ce nouveau chantier à ouvrir fin 2024 s’inscrit dans une démarche constante d’amélioration continue et de soutien à la diffusion des bonnes pratiques déontologiques, au cœur des missions de la Commission.

Il est remarquable que cet avis traite des relations entre établissements publics et secteur marchand. Les membres de la cnDAspe recommandent toutefois que les liens entre les producteurs de recherche scientifique et d’expertise et acteurs publics, en particulier quand ces derniers en sont les commanditaires, puissent également profiter d’un cadre clarifié garantissant l’autonomie des établissements et l’indépendance des chercheurs et experts qui y exercent.

Composition du groupe de travail

(1) La cnDAspe travaille en particulier avec 34 organismes publics de recherche et d’expertise actifs dans les champs de la santé publique et de l’environnement, qui figurent dans le Décret n°2014-1628 du 26 décembre 2014 fixant la liste des établissements et organismes publics qui tiennent un registre des alertes en matière de santé publique et d’environnement.
(2) Terme générique retenu par la FS pour désigner le spectre très varié d’entités privées engagées dans ces relations, y compris certaines fondations d’entreprises.
(3) En référence à la Stratégie de Lisbonne.
(4) On peut par convention reprendre une distinction qui est parfois faite entre indépendance de penser (d’esprit) et autonomie de faire (moyens). Ainsi, on peut avoir besoin de ressources allouées par autrui pour faire quelque chose mais garder son indépendance de penser et de décider. L’horizon vers lequel pourrait tendre la recherche et l’expertise serait a` la fois celui d’une autonomie de faire et d’une indépendance de penser, en sachant que cette dernière est ce qu’il convient de protéger en priorité.
(5) Il convient de favoriser la transparence par un renforcement des dispositions de la Loi Sapin II sur le lobbying, en étendant par voie réglementaire la notion de représentant d’intérêt aux groupements tels que les associations ou fondations financées par des entreprises et en créant des obligations renforcées de déclaration d’intérêt (transparence des contacts, montant exact des dépenses liées à la représentation d’intérêt, disponibilité d’information sur les personnes physiques ayant agi en tant que représentants d’intérêt au sein de la personne morale, sanctions dissuasives en cas de manquement aux obligations de déclaration d’intérêt) (voir p 123 Haut Conseil de la Sante´ Publique (2017). Pour une Politique nationale nutrition santé en France : PNNS 2017-2021.
(6) Devrait notamment être instaurée une obligation de déclaration a` l’employeur des expertises faites à titre privé, rémunérées ou non, les scientifiques étant souvent sollicités en partie du fait de leurs titres et du prestige de leur institution, et cette appartenance étant souvent mentionnée pour donner une crédibilité scientifique à l’expertise.
(7) Décret 2022-1284 du 3 octobre 2022 relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.
(8)
Voir notamment la note sur les éléments essentiels de la déontologie de l’expertise publique sur lesquels se fonde la cnDAspe dans l’exercice de sa mission.
(9) Loi Bertrand du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l’expertise sanitaire prévue à l’article L. 1452-2 du code de la santé publique.
(10) Dans ces déclarations d’intérêt demander explicitement de renseigner la rémunération par des droits d’auteur, ceci n’étant pas nécessairement clair pour les experts du fait que ces rémunérations échappent dans le droit actuel aux demandes d’autorisation de cumul auprès des employeurs.
(11) Ces formations porteraient notamment sur les biais qui peuvent découler de la manière dont un problème est posé, sur les types et la structuration des connaissances sur lesquelles s’appuie le travail des experts, sur les failles dans la littérature mobilisée et les enjeux de rapports de force dans cet état de l’art. Les coordinateurs de groupes d’expertise bénéficieront aussi d’une formation sur le cadrage de leur rôle par rapport aux experts, en particulier en cas de liens d’intérêts mineurs que tous les membres du groupe d’experts doivent connaître, afin qu’ils veillent à garantir la liberté scientifique des experts dans leur exploration de la question d’expertise.
(12) Si les liens d’intérêts « forts » doivent être prévenus par la non-admission des personnes concernées dans un groupe d’experts, des experts à liens « faibles » peuvent être admis dès lors que tous les membres du groupe en ont connaissance.
(13) Voir notamment le rapport du groupe d’experts « Pour une gestion alerte du risque chimiques » Des exemples majeurs de telles situations concernent la mise sur le marche européen de produits comportant des substances chimiques à potentiel dangereux (pesticides ou autres familles de produits chimiques), dont les « règles » (ou « lignes directrices » ) suivies de manière réglementaire pour l’évaluation des risques pour la santé ou pour l’environnement sont élaborées dans un cadre international (OCDE, EOPP …) par des comités scientifiques et techniques largement composés de scientifiques employés par les entreprises ou dont les laboratoires publics bénéficient de contrats de recherche de sources privées. Des méthodologies de cette expertise peuvent aussi être proposées par des « Instituts scientifiques » privés (tels ILSI - International Life Sciences Institute ou, s’agissant de sujets ayant trait a` la pollution atmosphérique ou le changement climatique, le Concawe dont sont membres les grands opérateurs pétroliers).
(14) Arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C-616/17, EU:C:2019:800, § 46. Le principe d’utilisation de manière impartiale de toutes les données scientifiques disponibles présente un caractère général non limité à l’examen des risques liés aux pesticides.
(15) Arrêt du 14 mars 2024 qui statue sur le recours d’une société pharmaceutique contre l’agence européenne du médicament.
(16) Voir sur ce sujet l’Avis relatif à la politique de l’Union Européenne concernant les pesticides contenant des substances actives classées comme "candidates à la substitution" et l’Avis accompagnant la publication du rapport du groupe d’experts indépendants « Pour une expertise scientifique et technique impartiale en vue de la maîtrise des expositions professionnelles aux pesticides en milieu agricole »

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