Avis relatif à la politique de l’Union Européenne concernant les pesticides contenant des substances actives classées comme "candidates à la substitution"

Publié le 25 octobre 2023

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Avis relatif à la politique de l’Union Européenne concernant les pesticides contenant des substances actives classées comme "candidates à la substitution" :

Un dispositif favorable à la santé publique et à l’environnement trop rarement mis en œuvre

Avis délibéré en session plénière le 21 septembre et adoptée électroniquement le 9 octobre 2023

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Résumé

La cnDAspe a été saisie pour avis le 14 avril 2023 par un groupe de parlementaires français (Assemblées françaises et Parlement européen) en raison d’« une application incorrecte des dispositions de l’article 50 du règlement (CE)N°1107/2009 » qui dispose que les Etats membres (EM) doivent veiller à ne pas autoriser ou à réduire l’utilisation, pour une culture donnée, des produits pesticides contenant des « candidats à la substitution » (CfS), c’est-à-dire des produits jugés les plus dangereux, lorsque des alternatives moins dangereuses pour la santé humaine et l’environnement existent.
Pour produire son avis, la cnDAspe a mis en place un groupe d’experts qui a conduit une série d’auditions (15 organisations et personnalités sur la vingtaine sollicitée ont répondu favorablement) dans un temps contraint. L’avis produit collégialement a été soumis à trois relecteurs européens, à deux relecteurs internes et soumis pour adoption à l’assemblée plénière de la cnDAspe.
Actuellement 53 substances actives sont listées comme candidates à la substitution ; or selon une enquête conduite par la Commission européenne en 2021, sur les 3100 cas de substitution possible, seuls 32 ont donné lieu à une substitution effective dans trois pays : Allemagne, Croatie et France. La commission a reconnu que « les règles relatives aux substances actives candidates à la substitution sont à la fois inefficaces et inefficientes ».
Dans le préambule de ce présent avis qui pose le cadre de la saisine, la cnDAspe s’est attachée à rappeler le cadre juridique européen qui détermine les principes afférents à cette substitution. Ce cadre trouve son socle dans les dispositions visant à « un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement » de ses Traités constitutifs qui reconnaissent par ailleurs le principe de précaution. En 2020, ces objectifs de protection ont été repris dans les stratégies européennes de la ferme à la table et biodiversité proposées par la Commission européenne qui fixent un objectif de réduction de 50% de l’utilisation des pesticides d’ici 2030. Le droit dérivé relatif aux pesticides est constitué du règlement n° (CE) 1107/2009 et de la directive n°2009/128/CE. La substitution des CfS repose sur la mise en œuvre d’une évaluation comparative prévue par l’article 50 et l’annexe IV du règlement 1107/2009 et basée sur un guide méthodologique issu des travaux de l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP) considéré comme un délégataire de fait. Cette organisation inter-gouvernementale (dont l’Union Européenne n’est pas membre mais y siège en tant qu’Observatrice) n’est pas soumise aux principes d’impartialité et de transparence prescrits par la réglementation européenne.
La cnDAspe est consciente que cet avis s’inscrit dans un contexte important d’enjeux de santé publique rappelé dans le rapport du fonds d’indemnisation français des victimes des produits phytosanitaires qui signale le « doublement sur un an, du nombre de demandes d’indemnisation pour maladie après exposition professionnelle aux pesticides » et d’impact sur l’environnement avec une baisse confirmée de la biomasse et diversité des insectes et la généralisation de la contamination de tous les compartiments eau (dont les eaux marines).

Dans un second temps et après avoir rappelé que la déontologie de l’expertise publique en matière de santé publique et d’environnement est au cœur des missions de la cnDAspe, elle a produit une analyse des enjeux déontologiques et scientifiques relatifs à la saisine.

Si le cadre réglementaire est unique au monde, sa mise en œuvre par les EM est limitée, au regard des critères difficiles à documenter, définis par les étapes décrites dans le guide de l’évaluation comparative de l’OEPP qui est de facto un texte de référence. Ces étapes sont imposées aux solutions alternatives – même efficacité (dont il est indiqué qu’elle prévaut sur les autres), absence d’inconvénients économiques et pratiques, minimiser les résistances, préserver les usages mineurs. Les solutions chimiques sont de fait privilégiées, alors que les alternatives mettent généralement en jeu un ensemble de solutions. De plus les externalités négatives (impact sur la santé et l’environnement, coûts de la dépollution …) liées à l’usage des CfS ne sont pas prises en compte. Bien qu’obligatoire, l’évaluation comparative n’est pas systématiquement mise en œuvre par les EM. Le système d’évaluation comparative fait l’hypothèse qu’une quantité égale et suffisante de connaissances est disponible en ce qui concerne les solutions chimiques et non chimiques, ce qui n’est pas le cas. Les EM ont la possibilité de modifier ce guide sans que soient mises en place des règles pour porter à connaissance des autres autorités compétentes les motifs sur lesquels s’appuient ces modifications. Ce document guide, bien que révisé trois fois depuis 2011, l’a été par des groupes de travail répondant à des critères de compétences mais pas aux exigences actuelles en matière de transparence et de gestion des liens d’intérêts. Enfin ce guide a été adopté par le SCOPAFF sans droit de regard du Parlement européen.

Le document "Draft proposal for amendment of Regulation (EC) 1107/2009 - Annex IV on comparative assessment" de la Commission Européenne propose des avancées substantielles, notamment en considérant que les méthodes et techniques alternatives "largement utilisées" peuvent être jugées "sûres" (pour la santé et l’environnement) et "efficaces" (pour la lutte contre les organismes nuisibles).
La substitution des pesticides les plus dangereux relève du régime réglementaire des pesticides - l’article 50 du règlement 1107/2009. Elle est très peu influencée par l’autre volet de la politique en matière de pesticides - la directive 2009/128 dite « utilisation durable des pesticides ». Les dispositions relatives à l’autorisation de mise sur le marché des pesticides ne sont pas conçues comme des instruments permettant d’atteindre les objectifs qui prévalent sur cet autre volet.

Enfin la cnDAspe souligne les avancées significatives dont témoignent les travaux portant sur des stratégies de lutte intégrée contre les parasites (IPM) utilisant de faibles quantités de pesticides, sur leur faisabilité et leurs avantages pour la protection des cultures, des sols et de la biodiversité, ainsi que sur l’adoption de ces stratégies par l’échange de connaissances et l’apprentissage entre pairs parmi les agriculteurs. A noter que le projet IPMWORKS a été lancé et a rassemblé 31 partenaires dans 16 pays européens.

En conclusion de son analyse, la cnDAspe a formulé ses recommandations regroupées selon 6 axes majeurs en identifiant la responsabilité de l’action :

  1. Accroitre le contrôle de l’application de la procédure substitution des pesticides les plus dangereux par les autorités compétentes des Etats membres et renforcer leurs obligations.
  2. Réviser les critères d’évaluation comparative présentés dans l’annexe IV du Règlement 1107/2009 : sous responsabilité de la Commission européenne.
  3. Promouvoir la recherche et la production d’informations sur les alternatives aux substances candidates à la substitution à l’échelle européenne : sous responsabilité des Etats membres de leurs agences et de la commission européenne.
  4. Réviser le document guide de l’OEPP pour l’examen par les autorités compétentes des états membres de la possible substitution « des pesticides les plus dangereux » : sous responsabilité scientifique de l’EFSA.
  5. Revoir les conditions de production de documents techniques pour la mise en œuvre de politiques communautaires relatives à la mise sur le marché de pesticides et aller vers une nouvelle gouvernance : sur initiative de la commission européenne.
  6. Réformer le cadre réglementaire européen concernant les pesticides pour assurer une substitution effective des substances CfS, conformément à l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement : sur initiative de la commission européenne.

Opinion on the European Union’s policy on pesticides containing active substances classified as "candidates for substitution" :

a system favorable to public health and the environment too rarely implemented

Opinion deliberated in plenary session on September 21 and validated digitally on October 9, 2023

Download the full version of the opinion dated 09 October 2023 (14.3 Mo, PDF) Télécharger dans une nouvelle fenêtre

Summary

The cnDAspe was asked for an opinion on April 14, 2023 by a group of French parliamentarians (French Assemblies and European Parliament) due to "an incorrect application of the provisions of article 50 of regulation (EC)N°1107/2009" which stipulates that Member States (MS) must ensure that they do not authorize or reduce the use, for a given crop, of pesticide products containing "candidates for substitution" (CfS), i.e. products deemed most hazardous, when alternatives exist that are less hazardous for human health and the environment.
To produce its opinion, the cnDAspe set up a group of experts who conducted a series of hearings (15 of the twenty or so organizations and personalities invited responded favorably) within a tight timeframe. The collective opinion was submitted to three European reviewers, two internal reviewers and then to the cnDAspe plenary assembly for adoption.
Currently, 53 active substances are listed as candidates for substitution ; however, according to a survey conducted by the European Commission in 2021, of the 3,100 cases of possible substitution, 32 resulted in actual substitution in three countries : Germany, Croatia and France. The commission recognized that "the rules on candidate active substances for substitution are both inefficient and ineffective".
In the preamble to this opinion, which sets out the framework for the referral, cnDAspe has endeavored to recall the European legal framework that determines the principles of substitution. This framework is underpinned by the provisions on "a high level of protection for human health and the environment" contained in the Treaties that make up the European Union, which also recognize the precautionary principle. In 2020, these protection objectives were taken up in the European ”Farm to Fork” and Biodiversity strategies proposed by the European Commission, which set a target of a 50% reduction in the use of pesticides by 2030. The secondary legislation on pesticides consists of Regulation (EC) 1107/2009 and Directive 2009/128/EC. The substitution of CfS is based on the implementation of a comparative assessment provided for in Article 50 and Annex IV of Regulation 1107/2009, and based on a methodological guide derived from the work of the European and Mediterranean Plant Protection Organization (EPPO), considered as a de facto delegate. This inter-governmental organization (of which the European Union is not a member, but which sits as an observer) is not subject to the principles of impartiality and transparency prescribed by European regulations.
cnDAspe is aware that this opinion is delivered in the context of major public health issues, as highlighted by the report from the French compensation fund for victims of plant protection products, which notes that "the number of claims for compensation for illness following occupational exposure to pesticides has doubled in the space of a year", and of environmental impact, with a confirmed drop in insect biomass and diversity, and widespread contamination of all water compartments (including marine waters).
After recalling that the deontology of public expertise in public health and the environment are at the heart of the cnDAspe’s missions, it produced an analysis of the deontological and scientific issues relating to the referral.
While the regulatory framework is unique in the world, its implementation by Member States (MS) is limited, given the difficult-to-document criteria defined by the steps described in the EPPO comparative assessment guide, which is de facto a reference text. These steps are imposed on alternative solutions - same efficacy (which is stated to prevail over others), absence of economic/practical disadvantages, minimization of resistance, preservation of minor uses. In fact, chemical solutions are favored, whereas alternatives generally involve a range of solutions. What’s more, the negative externalities associated with the use of CfS (impact on health and the environment, clean-up costs, etc.) are not taken into account. Although compulsory, comparative assessment is not systematically implemented by the Member States. The comparative assessment system assumes that an equal and sufficient amount of knowledge is available concerning chemical and non-chemical solutions, which is not the case. MS have the option of modifying this guide, but no rules have been put in place to inform other competent authorities of the reasons for such modifications. Although this guide has been revised three times since 2011, it has been produced by working groups that meet the criteria of competence, but not the current requirements in terms of transparency and management of links of interest. Finally, this guide was adopted by SCOPAFF without any right of review by the European Parliament.
The document "Draft proposal for amendment of Regulation (EC) 1107/2009 - Annex IV on comparative assessment" of the EU Commission proposes substantial advances, notably by considering that "widely used" alternative methods and techniques can be deemed "safe" (for health and the environment) and "effective" (for pest control).
Substitution of the most hazardous pesticides is covered by the regulatory regime for pesticides - Article 50 of Regulation 1107/2009. It is very little influenced by the other strand of pesticide policy - Directive 2009/128 on the "sustainable use of pesticides". The provisions relating to the marketing authorization of pesticides are not designed as instruments for achieving the objectives that prevail on the other side of this policy.
Finally, cnDAspe highlights the significant advances shown by studies on Integrated Pest Management (IPM) strategies using low quantities of pesticides, on their feasibility and benefits for the protection of crops, soils and biodiversity, and on the adoption of these strategies through knowledge exchange and peer learning among farmers. The IPMWORKS project has now been launched, bringing together 31 partners in 16 European countries.
In concluding its analysis, cnDAspe formulated its recommendations grouped under 6 major headings, identifying responsibility for action :

  • Increase monitoring of the application of the substitution procedure for the most hazardous pesticides by the competent authorities in the Member States, and reinforce their obligations.
  • Revise the comparative assessment criteria set out in Annex IV of Regulation 1107/2009 : under the responsibility of the European Commission.
  • Promote research and the production of information on alternatives to candidate substances for substitution on a European scale : under the responsibility of the Member States, their agencies and the European Commission.
  • Revise the EPPO guidance document for the examination by the competent authorities of the Member States of the possible substitution of "the most hazardous pesticides" : under the scientific responsibility of EFSA.
  • Review the conditions for the production of technical documents for the implementation of Community policies relating to the marketing of pesticides, and move towards a new form of governance : on the initiative of the European Commission.
  • Reform the European regulatory framework for pesticides to ensure effective substitution of CfS substances, in line with the objective of protecting human health and the environment : on the initiative of the European Commission.

Composition de la formation spécifique - Expert group panel

Viviane MOQUAY, membre de la cnDAspe
Présidente de la formation spécifique,
Rapporteure pour la cnDAspe

Retired Inspector General of Veterinary Public Health, former chairwoman of the CGAAER "Food - Health" section (chair of the expert group, member of cnDAspe)
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AUTIO Sari, Senior Officer, PhD (environmental science), Tukes (Agence Finnoise de Sécurité des produits chimiques), Helsinki (Finland)
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BRIMO Sara, Professeur junior, HDR de l’Université Paris-Panthéon-Assas, titulaire de la Chaire « Observatoire Santé et Environnement - Analyse Juridique et Interdisciplinaire » (OSE AJIR)
Junior Professor, Paris University-Panthéon-Assas, holder of the Chair "Observatory Health and Environment - Legal and Interdisciplinary Analysis” (OSE AJIR)
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DEMORTAIN David, Sociologue, DR Inrae, Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (UMR CNRS, Inrae, Uni. Eiffel)
Sociologist, DR Inrae, Interdisciplinaary Laboratory Sciences Innovations Societies (UMR CNRS, Inrae, Uni. Eiffel)
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DOUSSAN Isabelle, Juriste, DR Inrae, Groupe de Recherche en Droit, Economie, Gestion (GREDEG UMR CNRS 7321 Université Côte d’Azur)
Jurist, DR Inrae, Research group on Law, Economy, Management (GREDEG UMR CNRS 7321 Université Côte d’Azur)
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REBOUD Xavier, DR Inrae, Dijon, Conseiller spécial du Directeur scientifique pour l’agriculture de l’Inrae
DR Inrae, Dijon, Special advisor to the Scientific Director for agriculture of Inrae
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Relecteurs externes

Anna Berlin, Agronome ; maîtresse de conférences en pathologie des plantes. Swedish University of Agricultural Sciences, Uppsala, Suède.
Agronomist and associate professor of plant pathology. Swedish University of Agricultural Sciences, Uppsala, Sweden.

Giovanni Dinelli, Professeur titulaire au département des sciences agricoles et alimentaires de l’université de Bologne (Italie), travaillant sur l’agriculture biologique, l’agroécologie, l’effet des pratiques agricoles et des facteurs environnementaux sur la qualité de la production agricole. Il a participé à divers projets européens du 7ème programme-cadre de recherche et de développement technologique (PCRDT), Horizon 2020, LIFE and EIT-FOOD.
Full Professor at the Department of Agricultural and Food Sciences of the University of Bologna (Italy), working in organic farming, agro-ecology, the effect of agricultural practices and environmental factors on the quality of agricultural production. Involved in various European projects of the 7th Framework Program, Horizon 2020, LIFE and EIT-FOOD.

Pavel Minar, Depuis 2005 Chef de la division des produits phytopharmaceutiques à l’ÚKZÚZ (Institut central de Contrôle et d’Essais dans l’Agriculture). Il est responsable du dispositif d’autorisation des produits phytopharmaceutiques en République tchèque.
from 2005 Head of the Plant Protection Product Division in ÚKZÚZ (Central Institute for Supervision and Testing in Agriculture), Czech Republic. He is responsible for the system of plant protection products authorisation in the Czech Republic.

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