République Française
Déontologie et alertes (cnDAspe)
en santé publique et environnement
Publié le 4 novembre 2021
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Avis accompagnant la publication du rapport du groupe d’experts indépendants « Pour une gestion alerte du risque chimique » délibéré le 20 octobre 2021 en réunion plénière, validé le 2 novembre 2021
Le rapport du groupe d’experts indépendants mis à place en juin 2020 à l’invitation de la cnDAspe, a été rendu public ce jour. Il montre avec une grande rigueur scientifique, à partir du cas des préparations phytosanitaires, qu’il est nécessaire de renforcer et de rendre plus transparent le dispositif en place visant à actualiser l’évaluation des risques pouvant résulter de l’utilisation de produits chimiques, au fur et à mesure que des informations nouvelles sont acquises. La recherche académique et les autres voies de production de données scientifiques apportent continuellement des informations qui peuvent ne pas avoir été prises en considération ou avoir été sous-estimées lors de l’évaluation initiale de ces produits. Lorsqu’elles sont nouvelles, ces données peuvent remettre en cause des hypothèses ou des faits supposés acquis et donner à voir des résultats préoccupants pour l’être humain et plus largement pour la biosphère.
Le dispositif réglementaire en place reconnaît ce caractère dynamique et évolutif des connaissances disponibles. Les réglementations européennes prévoient en effet, selon des formats variés, une révision périodique de la classification du potentiel dangereux des substances chimiques, le renouvellement des autorisations de mise sur le marché des produits qui en contiennent et des clauses de sauvegarde permettant une action d’urgence pour protéger la santé humaine ou l’environnement si des informations scientifiques ou techniques les justifient. Ces clauses de sauvegarde autorisent un État membre à adopter des restrictions provisoires aux autorisations accordées pour la mise sur le marché de la famille des produits mis en cause, voire à la suspendre, charge à cet État de documenter de manière détaillée et de faire connaître à la Commission européenne et aux autres États membres les éléments justifiant cette décision. La mise en œuvre de ces dispositions est un exercice complexe qui exige multidisciplinarité et impartialité. En France, comme dans les autres États membres de l’Union européenne, elle est réalisée par des instances publiques d’expertise spécialisées, selon des règles de qualité et de transparence qui visent à permettent la reconnaissance réciproque de leurs conclusions entre les États membres, et ainsi favoriser la libre circulation des produits autorisés dans l’espace communautaire.
Si ces dispositifs sont essentiels, plusieurs observations suggèrent qu’ils pourraient être améliorés :
Selon l’article 2 de la loi 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, la cnDAspe peut produire des « recommandations sur les réformes qu’il conviendrait d’engager pour améliorer le fonctionnement de l’expertise scientifique et technique et la gestion des alertes. ». La Commission propose en conséquence dans cet avis des préconisations pour améliorer le processus de révision des évaluations des risques des produits chimiques.
Elle s’appuie pour cela sur le rapport du groupe d’experts indépendants dont elle a suscité la création et qui a travaillé sur les produits phytosanitaires. Dans cet avis, la cnDAspe endosse les 12 recommandations formulées par le groupe d’experts indépendants et ajoute quelques recommandations supplémentaires de portée plus générale.
Les propositions formulées dans cet avis de la cnDAspe s’adressent en premier lieu à l’Anses, agence d’expertise compétente en matière de produits phytosanitaires. Au-delà du domaine des produits phytosanitaires et de certains biocides, ces propositions invitent aussi à l’amélioration des modalités de réévaluation d’autres familles de produits faisant l’objet d’une procédure réglementaire d’autorisation, de notification ou d’enregistrement. Aussi le rapport du groupe d’experts indépendants, ainsi que l’avis de la cnDAspe seront également communiqués à l’ANSM, agence d’expertise compétente pour les médicaments, cosmétiques, dispositifs médicaux et compléments alimentaires, et pour certains biocides, domaines confrontés à des problématiques semblables. Cet avis est de même porté à la connaissance des chercheurs et organismes de recherche susceptibles de rassembler des données justifiant la remise en question de l’emploi de familles de produits ayant bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché, ou de l’utilisation d’une substance jugée à fort potentiel toxique. Les préconisations de la cnDAspe visent en effet à les encourager à transmettre ces données, et à le faire de manière à ce que leur prise en compte par l’agence d’expertise compétente soit facilitée. Ces préconisations de la cnDAspe sont enfin rendues publiques afin que les différentes parties prenantes puissent exercer leur droit d’interpellation et de recours.
Par les préconisations qui suivent, la cnDAspe matérialise les engagements qu’elle avait pris dans son avis du 19 novembre 2019 relatif au signalement reçu d’un groupe de chercheurs concernant de possibles risques liés aux fongicides agissant par inhibition de la succinate déshydrogénase (SDHI) .
1- Recours légitime de la communauté scientifique et des parties prenantes auprès de l’agence d’expertise compétente
La cnDAspe souligne que la communauté scientifique (groupe de chercheurs, société savante, comité ad hoc mis en place par un établissement de recherche etc.) est fondée à s’adresser à l’agence d’expertise compétente (l’Anses dans le cas présent) lorsqu’elle considère que des données scientifiques publiées qu’elle a rassemblées sur une molécule, une famille de produits phytosanitaires ou un produit particulier ayant bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché, justifient la remise en question de son emploi dans les conditions du moment en raison des risques que cet emploi induirait pour l’Homme et la biosphère.
La cnDAspe encourage la communauté scientifique à accompagner ce type de sollicitation d’un document argumentaire présentant l’ensemble des « informations nouvelles » qui justifient selon ses auteurs cette remise en question. Ces informations nouvelles ne peuvent être contraintes par les seuls cadres fixés par les protocoles réglementaires de l’évaluation des dangers des substances chimiques (définies par les lignes directrices de l’OCDE) et doivent pouvoir s’autoriser le recours à une variété de modèles expérimentaux, et aux innovations issues de la recherche, ainsi que le préconise le groupe d’experts dans sa recommandation n°11 (chapitre V).
La cnDAspe encourage également la communauté scientifique à expliciter dans le document argumentaire qu’elle adresse à l’agence d’expertise, en fonction des informations dont elle dispose, en quoi les informations scientifiques nouvelles qu’elle apporte sont susceptibles de remettre en cause les conclusions de la précédente évaluation du risque menée par les autorités sanitaires. Elle pourra en particulier s’appuyer sur la matrice de risque proposée par le groupe d’experts (chapitre V, figure 18 et Recommandation n°1 des conclusions du rapport) pour qualifier les risques qu’elle met en avant.
D’autres parties prenantes que la communauté scientifique (ONG, consortium d’associations, fondations …) sont également fondées à produire et adresser un argumentaire pour une réévaluation du risque. Elles pourront accroître la force de leur plaidoyer en s’inspirant des éléments de cette même matrice de risque. Il n’est cependant pas attendu d’elles qu’elles produisent des informations exhaustives, cette exigence ne pouvant être posée que pour l’agence d’expertise.
Cette formalisation du mode d’interpellation de l’agence d’expertise compétente par les parties prenantes renforcera la participation de la société civile aux débats relatifs aux risques chimiques (recommandation n°2 du rapport).
2- Une veille scientifique consolidée de l’agence d’expertise compétente sur les risques pour l’être humain et pour l’environnement ouverte aux données de la communauté scientifique et des parties prenantes
L’agence d’expertise compétente consolide le dispositif de veille scientifique par lequel elle recueille et analyse régulièrement l’ensemble des informations et observations pertinentes sur les risques liés à l’utilisation des produits phytosanitaire présents sur le marché . À cet effet, la cnDAspe recommande à l’agence d’expertise de clairement formaliser et de rendre publiques les modalités par lesquelles ce dispositif de veille pourra être nourri des données communiquées par la communauté scientifique et les différentes parties prenantes. Cette préconisation s’inspire directement de la recommandation 2 du groupe d’experts qui souligne l’intérêt de mobiliser des données issues d’une variété d’acteurs (dispositifs de vigilance, productions scientifiques académiques et « sciences participatives » impliquant la société civile).
3- Critères devant conduire l’agence d’expertise compétente à actualiser l’évaluation des risques, ou à la réfuter
La Commission recommande à l’agence d’expertise compétente de faire connaître, notamment par son site Internet, les critères qu’elle mobilise pour considérer que des informations scientifiques et techniques nouvelles - issues de sa propre veille scientifique et des données fournies par la communauté scientifique ou par les différentes parties prenantes - doivent déclencher une actualisation de l’évaluation des risques pour l’être humain et pour l’environnement pour une molécule, une famille de produits phytosanitaires ou un produit particulier présents sur le marché.
Lorsqu’une agence d’expertise compétente est saisie par la communauté scientifique ou d’autres parties prenantes de données nouvelles, celle-ci peut également décider de ne pas ouvrir une nouvelle évaluation. Dans cette hypothèse, la cnDAspe recommande à l’agence d’expertise compétente de produire et de rendre public un argumentaire qui explicite pourquoi elle considère que les informations scientifiques et techniques nouvelles qui lui ont été adressées ne justifient pas selon elle d’engager une procédure d’actualisation de l’évaluation des risques.
4- Transparence sur/de l’ensemble des données prises en compte dans l’actualisation de l’évaluation du risque et sur/de ses conclusions
Si l’agence d’expertise compétente engage une actualisation de l’évaluation des risques pour l’être humain et pour l’environnement, la cnDAspe recommande que cette actualisation s’accompagne de la publication d’un rapport rendu public donnant notamment à voir, de manière compréhensible par des non-spécialistes, les éléments suivants :
En rendant publiques l’ensemble de ces informations, l’agence d’expertise compétente donne accès à la communauté scientifique et aux parties prenantes à la base de données scientifiques la plus actuelle et complète. Cette dernière pourra servir de point de départ pour, ultérieurement, réenclencher si besoin un nouveau processus d’analyse critique des données scientifiques nouvelles publiées, cela dans un cadre incrémental ouvert et transparent. L’agence d’expertise compétente contribuerait ainsi à rendre les expertises plus accessibles, dans une optique de médiation scientifique (recommandation n°6 du rapport des experts) et à faciliter une plus grande participation de la société civile aux débats relatifs aux risques chimiques (recommandation n°9), conditions d’une plus grande confiance du public.
La cnDAspe recommande à l’agence d’expertise compétente d’accompagner ce rapport d’un résumé de ses conclusions dans lequel le risque est qualifié précisément. Pour cela, elle pourrait s’appuyer sur la matrice de risque proposée par le groupe d’expert. Cette dernière s’appuie sur une combinaison de facteurs et distingue les risques comme étant (i) avéré [ou certain] ; (ii) probable [ou présumé] ; (iii) possible [ou suspecté].
Le rapport d’analyse devrait indiquer enfin les incertitudes auxquelles cette nouvelle évaluation du risque a été confrontée, les questions non tranchées ou qui sont interprétées de manière non univoque par ses experts, au sein des différentes communautés scientifiques, ou par les parties prenantes , soulignant ainsi les recherches que la communauté scientifique dans son ensemble et les instances de programmation et de financement sont invitées à inscrire dans leur agenda de recherche.
5- Publication par l’agence d’expertise compétente des recommandations adressées au gouvernement au terme de l’évaluation du risque actualisée
La Commission recommande que l’agence d’expertise compétente rende systématiquement publiques les recommandations qu’elle adresse au gouvernement à la suite d’une actualisation de l’évaluation du risque concluant à un risque avéré, probable ou possible jusqu’ici ignoré ou sous-estimé, pour l’être humain et plus globalement pour la biosphère. Ces recommandations devraient mettre en avant les priorités de recherche de nature à lever les incertitudes qui demeurent pour rendre mieux fondée la gestion du risque.
6- Une nouvelle procédure pour l’examen approfondi par l’autorité compétente européenne d’un recours aux clauses de sauvegarde par un État membre
Les délais d’instruction par l’Union européenne d’un argumentaire envoyé par un État membre pour justifier son recours à une clause de sauvegarde varie, selon les réglementations générales ou sectorielles, de 1 à 6 mois. La cnDAspe considère que ces délais hétérogènes et brefs ne permettent pas un examen approfondi des dossiers et ne tiennent pas suffisamment compte des impacts potentiels de l’exposition des populations et des écosystèmes aux produits mis en cause. Sur ces deux points, la France pourrait prendre une initiative au cours de la Présidence de l’Union qu’elle va assurer au premier semestre 2022.
En premier lieu, la France pourrait préconiser une harmonisation de la définition des clauses de sauvegarde entre toutes les réglementations relatives aux produits chimiques, ainsi que le recommande/suggère le groupe d’experts dans sa recommandation n°10. Cette harmonisation serait guidée par un principe de non-régression et s’appuierait sur les énoncés les plus protecteurs des différentes réglementations. Cela concerne notamment les notions d’« incertitude » ou de « nouvelles données » qui conditionnent le déclenchement de la clause.
En second lieu, la France pourrait/devrait proposer la mise en place d’une nouvelle procédure d’examen par les autorités compétentes de l’Union européenne (ECHA, EFSA) d’un recours par un État membre aux clauses de sauvegarde pour un ou des produits mis en cause. Cette procédure reposerait sur un examen approfondi et partagé de l’argumentation avancée par l’État membre qui a recours à ces clauses. Cette procédure d’examen comporterait 2 étapes :
Finalement, l’autorité européenne compétente statue dans les 6 mois après réception des évaluations d’impact des États membres. Au total, le délai cumulé depuis la mise en œuvre initiale de la clause de sauvegarde par un État membre est de 21 mois, délai pendant lequel les dispositions prises dans ce pays au titre de la clause de sauvegarde sont effectives. En regard des menaces potentielles sérieuses, quoique incertaines, qui pourraient se manifester et/ou prendre de l’ampleur sur une longue durée à l’échelle de l’ensemble de l’espace européen, cette suspension – possiblement provisoire – de l’emploi dans les conditions initiales de l’autorisation accordée du ou des produit(s) mis en cause n’apparaît pas déraisonnable, avec les solides garde-fous proposés dans cette procédure. La recommandation de la cnDAspe prend appui sur la recommandation n°5 du rapport du comité d’experts indépendants.
7- Amélioration de la qualité du débat public sur le risque chimique par la formation des acteurs professionnels
En invitant les autorités sanitaires à formaliser et à rendre plus transparentes les procédures de prise en compte des informations nouvelles susceptibles d’aboutir à une réévaluation des risques de substances chimiques, la cnDAspe entend favoriser la richesse du débat public, et le respect des parties prenantes qui s’y engagent.
Plus largement, la cnDAspe considère qu’il est important de promouvoir la culture scientifique et technique et l’épistémologie auprès de nombreux acteurs professionnels impliqués dans les controverses scientifiques autour de la régulation des substances chimiques (élus, journalistes, cadres administratifs, responsables publics, etc.), au-delà des scientifiques spécialisés ou des experts travaillant pour les agences compétentes. A la suite des recommandations du groupe d’experts indépendants, la Commission insiste en particulier sur la nécessité aujourd’hui d’assurer cette promotion auprès des magistrats. Les juges administratifs territorialement compétents et le Conseil d’État ont en effet de plus en plus souvent à statuer sur un recours contre une autorisation accordée pour l’emploi d’un produit ou d’une technologie suspectés d’entraîner des effets délétères pour l’Homme ou les milieux ; il en est de même des juges européens. Leurs jugements seront d’autant plus éclairés que ces juridictions seront sensibilisées dans leur formation à la complexité de la preuve scientifique, à l’appréhension de l’incertitude et aux règles de la publication scientifique. Des échanges d’expérience réguliers avec les juges des pôles de santé publique pourraient favoriser une meilleure sensibilisation des magistrats à ces enjeux. Cette préconisation s’élargit naturellement aux juridictions spécialisées prévues par la loi du 24 décembre 2020 dont le déploiement va permettre d’améliorer la répression des infractions environnementales.
Cette préconisation répond aux recommandations 7 et 8 des experts.
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Nathalie Bonvallot, Enseignant chercheur, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique EHESP, Irset : Institut de Recherche en santé, environnement, travail (Inserm UMR_S1085). Toxicologie, santé publique, évaluation des risques liés aux mélanges. Présidente du groupe de travail Voir sa DPI (62.7 ko, PDF) Télécharger dans une nouvelle fenêtre
Sara Brimo, Membre du Haut Conseil de la Santé Publique (CSRE), Maître de conférences à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - ISJPS (CNRS UMR 8103). Droit de la santé, droit de l’environnement, responsabilité administrative. Vice présidente du groupe de travail Voir sa DPI (1.9 Mo, PDF) Télécharger dans une nouvelle fenêtre
Philippe Boudes, Maître de conférences, Institut Agro (Agrocampus Ouest, Rennes), UMR CNRS 6590 Espaces et Sociétés. Membre du CPP. Sociologie de l’environnement, interdisciplinarité, relations science-société. Voir sa DPI (439.1 ko, PDF) Télécharger dans une nouvelle fenêtre
Xavier Coumoul, Professeur des universités, Université de Paris, directeur de l’équipe METATOX de l’unité T3S, Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs (Inserm UMR_S1124). Toxicologie moléculaire et cellulaire. Voir sa DPI (4.4 Mo, PDF) Télécharger dans une nouvelle fenêtre
Soraya Duboc, Conseillère au Conseil économique, social et environnemental CESE. membre de la cnDAspe. Sciences des aliments, réglementation alimentaire. Voir sa DPI (108.6 ko, PDF) Télécharger dans une nouvelle fenêtre
Christian Mougin, Directeur de Recherche, Université Paris-Saclay, Inrae, AgroParisTech (UMR 1402 ECOSYS). Ecotoxicologie. Voir sa DPI (65.4 ko, PDF) Télécharger dans une nouvelle fenêtre
Bernard Salles, Professeur émérite de l’Université de Toulouse (UPS), Faculté de Pharmacie et Toxalim, Research Centre in Food Contaminants Toxicity (Inrae, INP, ENVT, UPS UMR 1331). Membre du CPP. Toxicologie. Voir sa DPI (100.8 ko, PDF) Télécharger dans une nouvelle fenêtre