Rapport Santé-Environnement : réponse aux interrogations des Inspections générales

Publié le 18 octobre 2021

Cinq inspections générales (CGEDD, IGAS, IGF, IGESR et CGAAES) ont rédigé un riche rapport sur "La santé-environnement : recherche, expertise et décision publiques" publié le 21 septembre.
La cnDAspe est fréquemment citée dans ce rapport, notamment au titre de son positionnement dans la gouvernance en matière de gestion des risques. Pour autant, les Inspections générales n’avaient pas demandé à auditionner les membres de la Commission.
Celle-ci a donc adressé un courrier aux ministres qui ont commandé ce rapport afin d’apporter des compléments d’information sur les missions de la cnDAspe et pour rappeler l’inadéquation de ses moyens à ces missions.

Ce courrier a été adressé à :

  • Mme Barbara Pompili, Ministre de la Transition écologique
  • M. Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance,
  • M. Olivier Véran, Ministre des Solidarités et de la Santé,
  • Mme Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation,
  • M Denormandie, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation.

Une retranscription de son contenu est disponible ci-après.

« Madame la Ministre, Monsieur le Ministre

Président de la Commission nationale de la Déontologie et des Alertes en Santé Publique et Environnement (cnDAspe), j’ai pris connaissance le 21 septembre dernier du rapport intitulé "La santé-environnement : recherche, expertise et décision publiques", mené par le CGEDD, l’IGAS, l’IGF, l’IGESR et le CGAAES.

L’analyse est très fouillée et nombre de recommandations formulées pour faire « émerger une vision globale, stratégique et partagée » des enjeux en matière de relations entre l’environnement et la santé entrent en résonance avec ce que préconisent des acteurs majeurs du domaine. Poursuivant l’objectif de dresser un état des lieux des systèmes d’évaluation des risques en santé-environnement, la mission des Inspections générales s’est également attachée à proposer des "évolutions visant à renforcer la confiance des populations dans l’expertise et la décision publiques". Cette perspective l’a amenée à s’intéresser à la cnDAspe et à ses activités.

La mission d’inspection n’a pas jugé utile d’entendre des membres de la Commission, ni son président et sa vice-présidente. Elle a, en revanche, demandé à rencontrer les membres de son secrétariat permanent, ce dont la Commission n’a été informée qu’a posteriori. Cette manière de procéder est pour le moins inhabituelle, d’autant que, selon le rapport, la mission d’inspection se serait entretenue avec « près de 250 acteurs ».

La Commission que je préside aurait été en mesure d’apporter toutes les informations et explications jugées utiles par les Inspecteurs généraux ou a minima de formuler des observations. A défaut d’un tel échange direct, plusieurs commentaires formulés dans le rapport témoignent d’une certaine méconnaissance des missions de la Commission et d’une lecture sélective des informations publiques sur ses activités qui figurent sur son site Internet. Les observations plus détaillées que nous présentons en annexe visent donc à compléter votre information.

Au-delà de ces questions sur la méthode de travail de la mission, je souhaiterais souligner que les vingt-deux membres de la Commission, tous bénévoles et en charge par ailleurs d’importantes responsabilités professionnelles ou civiques, se consacrent avec beaucoup de compétence à l’exercice de leur mandat au sein de la cnDAspe, cela avec des moyens extrêmement réduits qui ne sont pas en adéquation avec les missions importantes que la loi lui a confiées.

Celles-ci touchent aux politiques publiques pour la protection du vivant. La cnDAspe a été justement positionnée par la mission d’Inspection comme instance de médiation et comme outil contribuant au repérage de signaux faibles, au travers de son rôle dans la réception et le traitement des alertes.

Une meilleure adéquation entre ces missions de la Commission et les moyens qui lui sont donnés ne pourra passer que par un renforcement des leviers légaux et réglementaires à sa disposition et par l’attribution de ressources humaines par l’administration.

Veiller à l’amélioration continue des pratiques déontologiques de l’expertise au sein des trente-quatre établissements publics visés au décret 2014-1628, notamment s’agissant de la prévention des conflits d’intérêts ; et instruire les signalements portés à la Commission par la société civile pour vous adresser des dossiers évocateurs de véritables alertes, comme plusieurs vous ont déjà été transmis, ne peut continuer à reposer sur la seule conscience et le dévouement des membres de la Commission. Il faut enfin de véritables moyens.

La transposition prochaine de la Directive (UE) 2019/1937 sur la protection des lanceurs d’alerte sera l’occasion de renforcer les ressources dont doit maintenant disposer la cnDAspe pour être en conformité avec les exigences de la Directive et pour renforcer la confiance des populations vis-à-vis d’une expertise en appui aux politiques publiques dans les champs de la santé et de l’environnement, qui soit à la fois scientifiquement solide et non biaisée par des liens d’intérêt.

Consciente des nécessaires évolutions de ses moyens d’action et attentive aux évolutions prochaines du droit français sur l’alerte, la Commission a régulièrement échangé au cours de l’année écoulée avec plusieurs institutions administratives et politiques compétentes pour formuler des propositions dans ces domaines.

Faute d’avoir pu faire entendre sa voix dans le cadre de la mission d’Inspection évoquée plus haut, la Commission se tient à votre disposition pour vous faire part des enseignements qu’elle tire de son expérience de bientôt cinq ans dans le domaine de la déontologie et de l’alerte en santé publique et environnement. Dans l’éventualité où vous retiendriez la recommandation de la mission de procéder à une évaluation des missions de la cnDAspe, je vous prie d’associer la Commission à la définition des termes de référence de cette évaluation.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

Professeur Denis Zmirou-Navier

ANNEXE
Observations sur le rapport des Inspections (CGEDD, IGAS, IGF, IGESR et CGAAES)
"La santé-environnement : recherche, expertise et décision publiques" (décembre 2020)

(observations circonscrites aux considérations relatives à la cnDAspe)

La Commission constate avec satisfaction que le rapport des inspections fait de fréquentes références à ses fonctions et à son positionnement dans le dispositif de gouvernance et de gestion des risques en matière de santé-environnement, montrant que malgré les altérations portées très tôt à son mandat par la loi Sapin 2 et malgré les ressources infimes qui lui sont allouées pour exercer ses missions, même ainsi réduites, elle a su occuper une place qui commence à être lisible.

La Commission rejoint nombre de préconisations des rapporteurs, notamment sur :

  • la fonction de médiation de la cnDAspe, que la mission considère comme essentielle et recommande de maintenir en son sein ; de même, la mission évoque justement le rôle de la cnDAspe dans le repérage des « signaux faibles », par le traitement des alertes qui lui sont adressés, tout en relevant (à partir des seules données de 2017-2019) que le volume de son activité « semble trop réduit pour produire réellement des effets » (3.2.4. de l’annexe II). C’est au titre de cette fonction que la commission a demandé à être auditionnée par la Madame la Députée Cécile Muschotti qui a remis au Premier ministre en juillet dernier un rapport préconisant la création d’un Défenseur de l’environnement et des générations futures.
  • la proposition n° 26, et singulièrement son attendu relatif à des principes et règles communs en matière de déontologie et de transparence des travaux à l’échelle des agences communautaires et entre Etats membres. La section 2.2.2.1. de l’annexe III du rapport est fort intéressante à cet égard.
  • la nécessité de mieux prendre en compte l’évolution des connaissances sur les risques attribués à l’emploi de diverses familles de substances chimiques, pour permettre une adaptation des conditions de cet emploi, voire de reconsidérer leur autorisation de mise sur le marché, après actualisation des expertises conduites sur les substances actives et les produits qui en contiennent, sans avoir à attendre le terme de leur période d’autorisation.

Cependant, la cnDAspe s’étonne que l’analyse des Inspecteurs généraux ne s’appuie que sur la lecture des rapports d’activité de 2017, 2018 et 2019, c’est-à-dire portant sur le tout début de l’activité de la Commission (mise en place en 2017), et sur une consultation sélective de son site Internet. La Commission aurait pu apporter toutes les informations actualisées et explications jugées utiles par les Inspecteurs généraux si elle avait reçu une demande d’audition. Il en résulte inévitablement des remarques et considérations parfois mal fondées, donnant ainsi l’occasion à la Commission de préciser certains aspects de son fonctionnement et de dessiner les lignes d’amélioration de la gestion des risques en matière de santé-environnement que son expérience permet de percevoir.

Rapport p 54, fin du dernier paragraphe :

(Citation) :"Sur un autre plan, même en l’absence de disposition légale, le site internet de la Commission, déployé en 2019, permet à tout citoyen de lancer une alerte en matière de santé-environnement."

Le rapport semble soutenir ici que la Commission aurait outrepassé le mandat que la loi lui donne en recueillant des alertes dans le domaine de la santé publique et de l’environnement. Tel n’est pas le cas. En effet, d’une part, la loi Blandin du 16 avril 2013 prévoit que la cnDAspe peut s’autosaisir. La Commission a ainsi jugé en 2019, après les premiers signalements reçus, qu’un levier utile pour disposer d’informations pouvant la conduire à s’autosaisir était de faciliter la remontée de signalements issus de la société civile, dans sa grande diversité. Comme son site Internet en témoigne, elle fait de cette source d’information un emploi raisonné (ce que relève d’ailleurs le rapport d’inspection).

D’autre part, si la loi Sapin 2 n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, qui a fixé les principes de traitement des alertes de toutes natures, a supprimé les procédures particulières qui pouvaient exister, notamment la saisine de la Cndaspe pour les alertes en matière de santé et environnement, l’article 8 de cette même loi fonde la compétence de la Cndaspe en la matière : la Commission est en effet l’une des autorités administratives qu’un lanceur d’alerte peut saisir en cas de carence de son employeur après qu’il ait porté un signalement interne.

Enfin, en organisant un canal de signalement de faits relevant de sa compétence la cnDAspe ne faisait que réagir à des évolutions juridiques déjà amorcées. En effet, la résolution du Parlement européen du 24 octobre 2017 sur les mesures légitimes visant à protéger les lanceurs d’alerte qui divulguent, au nom de l’intérêt public, des informations confidentielles d’entreprises et d’organismes public, et la discussion du projet de Directive en résultant (actée le 23 octobre 2019) montraient que l’une des avancées majeures de la future directive serait le droit donné aux lanceurs d’alerte de porter directement leur signalement vers des autorités publiques extérieures (c’est-à-dire extérieures au dispositif de recueil de signalements internes dans les entreprises et organismes employeurs prévu par la loi Sapin 2). Le dispositif mis en place par la cnDAspe en avril 2019 était ainsi d’ores et déjà opérationnel pour son domaine de compétences. Comment lui reprocher aujourd’hui ?

Rapport p 54, section 3.4.2 :

1- : "Le positionnement de cette instance, dont le secrétariat est assuré par le Commissariat général au développement durable, peut être interrogé car elle n’est ni composée de scientifiques à même de remettre en question les avis des agences, ni de personnalités politiques susceptibles de porter un jugement sur les orientations des travaux d’établissements tels que l’ANSES."

Cette remarque traduit une étonnante méconnaissance des missions de la Commission, pourtant exposées au 1.1.3.1., qui ne visent ni à "remettre en question les avis des agences" ni à "porter un jugement sur les orientations des travaux d’établissements tels que l’ANSES."

S’agissant de la déontologie, la Commission intervient auprès de 34 établissements publics d’expertise scientifique et de recherche pour l’amélioration continue de leurs pratiques déontologiques. Son action repose en particulier sur l’organisation d’échanges entre pairs sur ces pratiques. Elle gagnerait en efficacité si, au-delà de l’émission « des recommandations générales sur les principes déontologiques propres à l’expertise scientifique et technique dans les domaines de la santé et de l’environnement » (article 2, 1° de la loi 2013-316 du 16 avril 2013), la Commission était dotée d’une capacité à évaluer les suites données à ses recommandations. Elle veille aussi à la mise en place et au suivi par ces établissements des registres d’alerte en matière de santé publique et d’environnement auxquels ils sont tenus conformément aux dispositions du décret 2014-1628 du 26 décembre 2014.

S’agissant des alertes, le rôle de la Commission est d’encourager les autorités compétentes à y répondre de manière diligente, et s’inscrit ainsi dans une démarche de médiation et d’amélioration continue des pratiques des autorités publiques. La cnDAspe a développé un savoir-faire rare à cet égard, y compris à l’échelle Communautaire. Dotée de moyens à la hauteur de cette tâche, la cnDAspe participera aussi au repérage de menaces émergentes en analysant le sens possiblement commun des signalements similaires portés par les lanceurs d’alerte en différents lieux et temps.

2- : « Par ailleurs, le fonctionnement actuel de la CNDASPE interroge. À la date de la mission, 8 déclarations publiques d’intérêts étaient manquantes sur les 22 membres que compte la Commission ».

Cette observation est factuellement exacte. Mieux informée, elle aurait cependant pu être modulée en considérant le fait que le Bureau de la Commission a écrit à plusieurs reprises aux membres concernés pour rappeler l’obligation de publication de leur DPI, et que plusieurs de ces personnalités étaient en fin de mandat ou n’ont jamais siégé. Dès le renouvellement de la Commission, début 2021, ces manquements ont été corrigés avec notamment la publication de la procédure de prévention et de gestion des conflits d’intérêts. Parmi les dispositions prévues par cette procédure, aucune personne n’ayant pas remis sa DPI ne peut siéger en session de la Commission ni figurer dans ses groupes de travail

3- : "… une réflexion sur l’exemplarité de ses méthodes serait à envisager, car la Commission n’a pas publié la liste des membres du groupe de travail constitué le 25 juin 2020 ni leurs déclarations d’intérêts"

Cette remarque est particulièrement mal fondée car la raison de ce choix est clairement et publiquement explicitée par la Commission sur son site Internet :

Actualité publiée le 10 juillet 2020 : Installation du groupe de travail pour "Une gestion alerte du risque chimique", 25 juin 2020 .

"Afin de permettre une réflexion sereine de cette formation spécifique, à l’écart de pressions extérieures, la liste de ses membres sera rendue publique dans le rapport de doctrine et de méthode que la cnDAspe lui a demandé de produire si possible d’ici la fin de l’année 2020, ainsi que les fiches de déclaration publique d’intérêt qu’ils sont tenus de remplir."

Rapport (annexe III, section 2.2.1.2) :

(Citation) : "La mission note que le rôle de la CNDASPE sera de facto amené à être à nouveau examiné à l’occasion de la transposition de la nouvelle directive relative aux lanceurs d’alerte, transposition qui doit intervenir avant le 17 décembre 2021 : si le champ couvert par la directive est potentiellement plus réduit que celui couvert par la loi de 2016, la directive mentionne spécifiquement la possibilité pour les états membres d’étendre au niveau national le champ d’application du dispositif introduit au niveau de l’Union."

La cnDAspe rejoint cette remarque et a été active pour que l’expérience qu’elle a accumulée pendant les quatre années de sa première mandature puisse éclairer le législateur lors de la discussion de la loi de transposition de la directive : échanges avec le vice-président de l’Assemblée nationale porteur d’une proposition de loi ; réponse à la consultation publique lancée par la Chancellerie au printemps 2021 pour préparer cette transposition ; échanges avec le Défenseur des Droits et avec le Directeur général de l’Agence française anti-corruption ; rencontres avec les cabinets des ministères de la Justice, de la Transition Ecologique et de la Santé pour motiver ses propositions.

Ces propositions concernent en particulier l’extension de la protection aux lanceurs d’alerte qui n’ont pas un lien professionnel avec les entités mises en cause, qui représentent les 2/3 des auteurs des signalements qu’elle a reçus dans les champs de la santé publique et de l’environnement (extension que n’envisage à ce jour ni la loi Sapin 2 ni la Directive) ; ainsi, plus généralement que la consolidation des dispositifs de protection et de soutien aux lanceurs d’alerte, la cnDAspe pouvant attester que le développement de cette "alerte citoyenne" constitue une source précieuse d’information des administrations en charge du contrôle du respect de la réglementation.

En conclusion, si la cnDAspe partage la recommandation des Inspecteurs généraux selon laquelle (résumé, p 2) "La Commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé-environnement (CNDASPE) devrait voir son rôle réexaminé à la suite d’une évaluation nécessaire de son activité", elle souligne qu’une telle évaluation devrait porter non seulement sur son rôle, mais aussi sur les moyens qui lui sont alloués pour lui permettre d’exercer ses missions dans de bonnes conditions. Elle demande à cet effet à être associée à la définition des termes de références de cette évaluation, si celle-ci- était décidée par le gouvernement.

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