Décret d’application de la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte : une publication ternie par "l’oubli" de la cnDAspe

Publié le 4 octobre 2022

Le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 qui précise les conditions de mise en œuvre de certaines dispositions de la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte vient d’être publié au journal officiel. La cnDAspe exprime son profond regret de ne pas être inscrite parmi les "autorités compétentes pour recueillir et traiter les signalements" alors qu’elle reçoit et instruit depuis son installation en 2017 des signalements relevant de ses domaines de compétence, c’est à dire des actes jugés constituer des menaces pour la santé des personnes ou pour la qualité de l’environnement.

Le décret n° 2022-1284 qui précise les conditions de mise en œuvre de certaines dispositions de la loi 2022-401 du 21 mars 2022 est sorti au Journal Officiel le 3 octobre 2022. La cnDAspe, qui a beaucoup agi pour accompagner la préparation de cette loi, notamment auprès de Monsieur le député Waserman qui a été le rapporteur du projet de loi, s’en félicite. Cette loi constitue une grande avancée démocratique, comme elle le soulignait dans une actualité publiée le 18 février dernier.

La surprise

L’étonnement de la commission a donc été d’autant plus grand lorsqu’elle a constaté qu’elle n’a pas été désignée parmi les "autorités compétentes" pour recueillir et traiter les signalements relevant de la loi 2016-1691 (dite loi Sapin 2) révisée par la loi de mars 2022.
Alors que la cnDAspe (créée par la loi du 16 avril 2013) reçoit et instruit depuis son installation en 2017 des signalements relevant de ses domaines de compétence, c’est à dire la dénonciation d’actes jugés constituer des menaces pour la santé des personnes ou pour la qualité de l’environnement, le Gouvernement s’est rangé à l’avis du Conseil d’Etat qui a vu une "fragilité juridique" dans des discordances entre certaines dispositions inscrites dans son décret de fonctionnement (datant de 2014) et celles qui s’appliquent dorénavant, en application de la loi du 21 mars 2022 prise pour la transposition de la Directive européenne du 23 octobre 2019.
En conséquence, le Conseil d’Etat a recommandé de suspendre la désignation de la cnDAspe comme autorité compétente pour recevoir des alertes à une révision préalable de son décret de fonctionnement.

Les discordances relevées par le Conseil d’Etat sont réelles et concernent les délais de retour d’information dû aux auteurs des signalements.
Dès qu’elle a été informée de cet avis du Conseil d’Etat, la cnDAspe a adressé un courrier à Madame la Première Ministre pour l’inviter à ne pas suivre l’avis sur ce point - ce qui est un droit reconnu au Gouvernement - et à maintenir l’inscription de la cnDAspe en tant qu’autorité compétente, tout en engageant au plus vite une révision de l’article de son décret de fonctionnement qui est source de ces discordances. Au fondement de cette demande, le souci de la Commission d’éviter une rupture de continuité dans le recueil et le traitement des signalements qu’elle reçoit concernant des manquements à la règlementation ou des menaces pour la santé ou pour l’environnement, deux domaines auxquels sont particulièrement sensibles nos concitoyens et pour lesquels la cnDAspe, de plus en plus identifiée, dispose d’une expérience unique. D’autant plus que cette rupture de continuité pourrait aussi avoir des conséquences dommageables sur les signalements concernant la transgression de règles en matière de déontologie de l’expertise publique dans ces domaines, failles portant par exemple sur l’insuffisant contrôle de conflits d’intérêts, qui ont été à l’origine de crises graves ayant déjà frappé la France.

Quelles conséquences ?

Les lanceurs d’alerte s’adressant à la cnDAspe ne pourraient pas bénéficier des protections juridiques apportées par la loi du 21 mars 2022 contre des menaces ou des représailles de la part des entités que leurs signalements auraient mis en cause, s’ils étaient identifiés par ces entités. Cela pourrait dissuader certains d’entre eux de participer à cette courageuse vigilance citoyenne, particulièrement précieuse pour repérer des menaces pour la santé des personnes ou pour l’environnement.

La cnDAspe renouvellera sa demande au gouvernement de révision dans les plus brefs délais de son décret de fonctionnement, comme le recommande le Conseil d’Etat, pour le mettre en conformité avec les dispositions de la loi du 21 mars 2022 s’agissant du recueil et du traitement des signalements, afin d’être reconnue au plus vite comme autorité compétente. Elle établira sans attendre une procédure de recueil et de traitement des signalements conforme au décret.

D’ici là, poursuivant ses travaux, elle peut continuer à être saisie, notamment par des associations de protection de l’environnement, des consommateurs ou par des associations de malades, par des parlementaires et par les établissements publics d’expertise dans ses domaines de compétence, et à recevoir des informations confidentielles sur des actes pouvant menacer la santé ou l’environnement, de personnes ou d’organismes dont elle protège strictement l’identité, pouvant se saisir elle-même des informations qu’elle juge constitutives de véritables alertes. Pleinement indépendant, son collège de commissaires est constitué de 22 membres irrévocables dont le mandat court jusqu’à fin 2024.

Pourquoi une telle décision ?

On savait que le droit d’alerte, composante importante de la liberté d’expression, était soumis à un régime de liberté surveillée, certaines entreprises et leurs lobbies n’hésitant pas à recourir à des représailles ou des menaces, et à des "procédures baillons" par des recours devant les tribunaux afin de dissuader ou d’épuiser les lanceurs d’alertes. D’où la loi du 21 mars 2022 pour mieux les protéger. Assistons-nous, avec cette non-inscription de la cnDAspe dans la liste officielle des "autorités compétentes", à l’instauration d’un régime de liberté conditionnelle pour les alertes en matière de santé ou d’environnement ?

Pourquoi ce régime d’exception, alors que la cnDAspe reçoit et instruit depuis 5 ans des signalements en protégeant l’identité des auteurs des signalements, et alors que la solution à la fragilité juridique identifiée par le Conseil d’Etat est connue et simple ? Est-il imaginable que cela ait trait aux dossiers que la cnDAspe a eu à traiter au cours des dernières années ? La cnDAspe laisse aux chercheurs, journalistes d’investigation et ONG intéressées le soin de documenter la réponse à cette question. Pour sa part, elle continue, en pleine responsabilité, de se consacrer à l’intérêt public.

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